Chapitre 1

 

Darkhan

 

C’est terminé… Cette bataille est terminée.

Je tourne la tête et pose mon regard sur le chaos me cernant. Du sang, des morts. Voilà tout ce que j’aperçois dans ce brouillard Ces Gémeaux nous ont laminé.

– Crois-tu qu’ils soient définitivement partis ? Ou est-ce un subterfuge ?

Imroz, mon gigantesque dragon noir reste aussi prudent que moi en volant en cercle dans le ciel. Nous communiquons par la pensée en permanence, par le pouvoir de la pierre incrustée contre mon cœur.

Un silence tragique plane après un mois de vacarme incommensurable. Nous venons de vaincre un ennemi tenace. Je suis en sang, à bout de forces. Je tiens debout par la rigidité de mon armure.

Je ne retrouve pas mes comparses dans cet abîme, j’aperçois seulement nos dragons planant dans le ciel nuageux. Il en manque…

– Reste sur tes gardes, Im.

– Serytir est à terre, je ne vois pas Tybalt. Neor et Murco semblent mal en point.

– Répondent-ils à tes appels ?

– Pas Serytir, ni Kyobir.

– Je ne vois pas Tybalt, indiqué-je, continue de chercher.

Le champ de bataille est voilé d’une épaisse fumée âcre qui m’irrite la gorge.

– Tybalt !!! hurlé-je en titubant, trébuchant sur des cadavres démembrés.

Nous nous sommes acharnés contre nous-mêmes. Voilà six ans maintenant que les dieux du Zodiaque ont déclaré une guerre sans merci aux mondes terrestres. Ils sont puissants, sans pitié et bien plus avantagés. Les Gémeaux ont invoqué des sosies parfaits de nos personnes, de nos montures. Cette bataille nous laisse rudement fragilisés.

J’ai l’impression de marcher des lieues en ramassant des hommes, retournant des corps, afin d’identifier mes dragonniers. Je suis leur commandant, mon devoir est de veiller à leur sécurité. Il ne fait nul doute que j’ai échoué pendant ce combat.

Hammund est auprès de Murco, son dragon vert, Owayne chevauche toujours Zhénia, Jeremiah s’assure qu’Elgreï n’est pas grièvement touché. Petit à petit, je les retrouve, échevelés, aussi éreintés et ensanglantés que moi.

– Demande aux dragons de se rassembler à l’avant-poste Imroz, qu’ils passent le message aux dragonniers ! Je continue de chercher Tybalt dans ce brouillard.

– Sois prudent.

Je poursuis mes recherches inlassablement, avant de tomber sur Sewal, sonné, que je relève difficilement.

– Où est Kyobir ?!

– Je ne le sens plus, Dark, je ne le sens plus… Mon dragon est mort…

Il semble crever d’une souffrance innommable et s’écroule au sol, la main pressée contre son armure, à l’emplacement de sa pierre.

– Je ne le sens plus…

– Où est Zarral ?! Sewal ! Reprends-toi ! Nous devons nous assurer que les autres vont bien ! Je suis désolé mon ami ! Vraiment ! Tu pleureras ta perte à un autre moment !

– Achève-moi. Je ne peux pas vivre sans mon dragon. Ce n’est pas dans l’ordre des choses…

– Certainement pas ! Debout ! Les autres ont besoin de nous ! Je n’ai pas encore retrouvé Tybalt !

– Serytir l’a écrasé dans sa chute… Je pense qu’ils sont morts tous les deux.

– Non ! Où sont-ils ?!

Il me désigne un gigantesque tas du doigt et je me mets à courir, enquis d’une montée d’angoisse terrible. Serytir respire toujours, je remarque son ventre qui se soulève dans un rythme lent sous sa cuirasse.

Je le contourne et finis par trouver mon second, Tybalt, les jambes coincées sous le corps de son dragon rouge.

– Bouge Serytir ! Bouge !!

Pheïke, le dragon vert de Marion se pose brutalement derrière moi, dans un fracas faisant trembler la terre. Elle saute de sa monture et vient me rejoindre aussi vite que ses jambes peuvent la porter.

Pheïke s’approche et pousse le dragon inerte afin de nous permettre de dégager son dragonnier.

– Tybalt !! m’écrié-je en le secouant. Allez mon gars ! On a gagné ! Tu ne peux pas nous lâcher maintenant !

Nous sommes coupés dans notre réanimation par un rugissement strident, témoignant d’une douleur atroce. Je lève la tête par réflexe, avec la peur panique que la bataille reprenne déjà…

– Zarral vient de trouver Kyobir, me souffle Imroz d’un ton chagriné.

– Dis à Hemilthor de s’occuper d’elle !

– Il est mort aussi, Darkhan.

– Putain de merde !!!! hurlé-je en rage. Rassemblez-vous !!!

– Je vais l’emmener à l’avant-poste, déclare Marion, mon unique dragonnière, en m’aidant à soulever Tybalt, toujours inconscient. Aide-moi à le hisser sur Pheïke !

– Qui d’autre Imroz ?!

– C’est déjà bien assez.

– Ne laisse pas Zarral s’en aller ! Ce n’est pas le moment ! Elle doit rester avec nous ! m’écrié-je en la regardant s’éloigner.

Je fixe le ciel où j’aperçois Imroz se dirigeant vers elle avec vélocité. Mais dès qu’il s’en approche, elle lui crache des éclairs qui le foudroient…

– Bordel !

Je le regarde impuissant chuter à pic et s’écraser brutalement au sol.

Je fonce jusqu’à lui, enjambant les cadavres à perte de vue et bientôt, j’arrive près de mon dragon aux écailles ensanglantées.

– Imroz, ça va ?!

– Elle veut retrouver ses petits… Elle va très mal.

– Dis-moi que tu vas bien !

– J’en suis pas à ma première décharge électrique. Laisse-moi deux minutes pour respirer.

Je me poste près de sa tête, contemplant son œil jaune, afin de m’assurer qu’il reste conscient.

– Nous avons perdu beaucoup d’amis… soupire-t-il d’un air las.

– Nous nous relèverons. Le repos est enfin arrivé.

– Je vais dormir dans ma caverne sur mes montagnes de trésors.

– Après cette victoire, tu pourras disparaître dessous tant tu en auras.

– J’y compte bien.

– Est-ce que tu peux te relever ? Tu m’inquiètes.

– Hé ! J’ai deux cent cinquante ans, vermine, je suis tout courbaturé.

– Nous allons enfin pouvoir rentrer chez nous, mon ami.